Ces deux là, Michaël Escoffier, Kris Di Giacomo, nous font bien rire depuis 2008 avec deux titres particulièrement plaisants : À poils édité par Kaléidoscope, Ni vu ni connu chez Frimousse.
À poils raconte la chaleur d’un été dans la savane où le lion dépose sa fourrure le temps d’une sieste… Un zèbre qui passe par là pose sa peau et emprunte celle du lion et ainsi de suite jusqu’à ce que le babouin déguisé en hyène pense surprendre l’antilope … Oui, mais… sous la peau de l’antilope, se dissimule un crocodile qui ne fait qu’une bouchée de la hyène-babouin ! On y verrait une morale ? Celle de l’arroseur arrosé ou de Tel est pris qui croyait prendre ? Peut-être, elle n’est pas énoncée.
Dans Ni vu, ni connu, un caméléon nommé Léon découvre la petite voix de sa conscience qui lui reproche d’avoir utilisé, pour s’essuyer les fesses, ce qui ressemble à une culotte oubliée sur une branche d’arbre … Il s’agit en réalité du masque de Super-lapin !
Deux histoires drôles qui incitent néanmoins à engager la réflexion !
La leçon, cette fois, annonce l’intention, la collection s’intitule « La question (l’Album philo) » et la quatrième de couverture porte ces trois lignes : « Au fil des mots, la Question apparaît, la discussion peut commencer ».
La leçon est un album cartonné, de belle facture, au dos toilé. Sur la couverture, une bête noire aux crocs pointus entoure une maison orange devant laquelle se tiennent deux poules. L’ensemble est assez sombre, éclairé toutefois par le titre à la peinture blanche LA LEÇON.
Voyons le propos. Il s’exprime toujours sur une double page entièrement illustrée. Le texte, sobre, fait alterner narration, réflexion et brefs dialogues. Première double page : dans les tons pastels beige brumeux, l’ombre imprécise d’un homme armé se projette sur le sol d’une clairière, au fond, une maison entourée d’arbres. Et ce texte : « Une maison au milieu des bois, dans la brume matinale, une ombre s’étire ». Sur la double page suivante, la brume s’est dissipée, toujours les arbres, la maison, quatre poules, le tout entouré d’une clôture. L’homme est à l’extérieur, c’est une haute silhouette noire (dont la tête est hors cadre), qui avance à grandes enjambées, le fusil à la main. Le texte dit : « L’homme est en colère. Cette nuit, la bête a encore mangé trois de ses poules. – Je vais lui donner une bonne leçon pense l’homme qui se met en chasse ». On sent la tension monter. L’homme poursuit son chemin, interroge quelques animaux sur la présence de la bête, ils n’ont rien vu ou comme la corneille « s’envole sans mot dire. Elle en sait trop. ». L’homme change de stratégie, rentre chez lui et pose des pièges autour de sa maison. « Mais la bête connaît la forêt comme sa poche. Elle vivait là bien avant que l’homme s’y installe. » La faim revenant, on imagine qu’elle va chercher à se nourrir, l’homme veille, entend du bruit, se précipite, tire un coup de feu et hurle de douleur. Un piège s’est refermé sur sa cheville… Et son fusil est hors de portée. Il ne peut pas se libérer, et « La bête est là, à l’observer, qui n’aurait qu’à bondir pour l’achever. » Elle dépose le fusil auprès de l’homme et s’éloigne. Sur cette double page, la silhouette noire de la bête tient le fusil dans sa gueule sur un fond couleur d’argile rouge. Des questions se formulent entre l’homme et la bête. Il ne reste qu’une cartouche dans le fusil, l’homme peut donc tuer la bête mais il mourra prisonnier du piège. La bête peut tuer l’homme mais que deviendra-t-elle l’hiver sans les poules ? Au dessus du profil noir, en gros plan, de la bête on lit « L’homme comprend alors qu’il n’a pas le choix. Dans un dernier sursaut de lucidité il presse la détente » Et puis un énorme PAN ! à la peinture blanche, comme la typographie du titre sur la couverture, s’étale sur la double page suivante. L’observation de la dernière illustration permet de formuler des hypothèses sur la décision prise par l’homme… Quelle a été la Leçon enseignée à l’homme ?
Il me semble que le propos est fort, qu’il pose une question universelle : négocier pour vivre ensemble, homme et animal ou affirmer sa suprématie et finalement se détruire ? Il y a une économie dans les mots, toutefois l’essentiel qui permet de poser les questions qui font réfléchir est évoqué en termes simples, précis. Les illustrations soutiennent magnifiquement le récit, impulsant l’atmosphère des divers lieux, et des différentes rencontres. Un album qui ouvre la discussion.
LA LEÇON,
Michaël Escoffier, auteur
Kris Di Giacomo, illustratrice
Édition Frimousse : collection La question
19,50 €