Gwen Le Gac est autrice et illustratrice, elle est invitée à participer au 34e salon du livre jeunesse les 29, 30 et 31 mars prochains.
Les illustrations de Gwen Le Gac secouent nos attentes par son exploration toujours renouvelée des techniques, au service du propos de l’histoire :
les portraits brodés d’un bébé dans Douze, les masques au pastel gras dans Le Terrible six heures du soir, son propre portrait en pochoir dans Je suis une couleur, dont les pages scindées en trois permettent au lecteur de composer lui-même les expressions du visage.
L’Une belle l’autre pas aborde directement la question du beau, du moche, à travers deux soeurs dont la plus jeune voudrait qu’on lui explique pourquoi son goût, vestimentaire ou exprimé dans ses dessins, serait le « mauvais ». Les pages orange fluo sont bariolées de papiers cadeaux argentins aux allures de tissus excentriques.
L’illustration d’Un enfant de pauvres, écrit par Christophe Honoré, est travaillée étroitement avec l’histoire racontée :
Enzo est un champion de surf de douze ans, qui connaîtra probablement la richesse à sa majorité, mais restera celui qui dit « non », marqué à jamais par la pauvreté qui est entrée dans sa vie à huit ans. Le récit est sec, le personnage jamais dans l’épanchement. La représentation de la pauvreté et des sentiments du personnage face à celle-ci sont réalistes, complexes. Ainsi la mère retrouve un travail, mais celui-ci reste insuffisant pour bien vivre. Enzo se met à voler, mais sans exploiter ses vols, juste pour dépasser la contrainte de devoir tout se refuser.
Mettre en images ce récit apparaît comme un défi. Dans ses recherches, Gwen Le Gac s’oriente dans la direction du plein et du vide, commence par dessiner le personnage, sa silhouette. Le bleu profond qui habite l’album est déjà présent. Elle s’inspire de photographies qu’elle prend au cours de son travail, au départ des essais qui s’imposent finalement comme la bonne matière. Comment montrer l’expérience violente que subit Enzo ?
Les photos font donc écho à ce récit du quotidien, et plus encore à l’idée de pauvreté : par des pixels, des décadrages et des entailles blanches qui « décale » le personnage, forcé de s’extraire du cours normal de sa vie, dans son rapport à sa famille et aux autres enfants.
Au milieu des photos, des images plus abstraites à la bombe de peinture dessinent des émotions, des paysages : un rond rouge larmoyant comme une balle qui a frappé irrémédiablement le garçon, le bleu de l’ennui, ou celui de la mer qui ouvre au contraire les horizons du futur champion de surf.
Enfin, quatre pages sans texte en monotype, du dessin sur verre, prennent le relais du récit, lorsqu’Enzo glisse au coeur d’une vague puissante, et pourtant apprivoisée.
Le papier argentin sur lequel ont été réalisées les illustrations est imprimé tel quel avec les trous du carnet, comme un journal intime du personnage, comme une écriture au jour le jour qui fait « vraie ».
Deux rencontres ont eu lieu en novembre avec Gwen Le Gac, autour d’Un enfant de pauvres, avec des enfants du centre de loisirs et pour le tout public. Gwen Le Gac a raconté le déroulement de son travail, les recherches, les idées qui surgissent, les inspirations… Elle a proposé un atelier à partir de collage de symboles, d’étiquettes de prix et de mots clés tirés du livre à placer dans le pochoir représentant la tête d’Enzo. Cet atelier est pensé comme un prolongement de la discussion autour de la pauvreté et de la consommation en général, afin que chacun puisse exprimer par l’image et les mots sa vision de l’expérience vécue par le personnage.
Ces rencontres ont pris place dans le cadre d’une recherche sur les représentations de la pauvreté dans la littérature jeunesse, menée par le CRILJ, qui aboutira à un colloque les 8 et 9 février 2019 (renseignements ici).