Vendredi. Je lis et relis. Elimine « Le gros camion qui pue de mon papa » : trop petit format, à mon avis, à partir du deuxième rang ils ne verront rien. Je me conforte dans l’idée : grand format, images simples, texte pas trop long et sans pièges de lecture (comme « Le chasseur sachant chasser » de… ? J’étais pourtant l’an dernier au Salon… Va falloir aussi que je me fasse un petit memo avec les noms…
Samedi. Chez Térésa. On commence par la maison : magnifique « petite » maison dans laquelle on se sent bien protégé. Café et gâteaux inédits aux noisettes, « Attention, il peut rester des petits bouts de coquille ». Trois quarts d’heure ont passé. Il faut se lancer. On prend les classes dans l’ordre. Vingt minutes, ça laisse le temps de lire un album chacun. Je lui dis : « Ce serait bien que tu commences ». Elle sourit.
« … Et que tu présentes ! » Elle rit. Les obligations de la marraine de guerre… « Alors, qu’est-ce que tu as choisi pour le CE2 ? » « Je suis retombé sur ce bouquin que j’aimais lire à mon fils quand il était petit. » « Loulou » de Solotareff. On en parle : un livre sur l’amitié c’est bien parce qu’elle a, elle, envie de lire sur la découverte amoureuse. Elle me demande de le lire. J’attaque. Mais tout de suite : « Fais exactement comme tu ferais en classe, montre-moi l’image ! » Elle a un petit clignement d’œil pour dire C’est bon, tu peux tourner… 10’15’’. Elle insiste : c’est long, il faut bien trouver le rythme. « Tu ressens des problèmes de lecture, toi ? » me demande-t-elle. Juste à un endroit : quand le vieux loup, bâillonné, grommelle entre ses dents, est-ce qu’il vaut mieux que je lise normalement ou en serrant les dents ? « Fais un essai. » Pas réellement concluant, je ferai sans. Deux heures plus tard, on a notre sélection. Je repars avec « Têtes de bulles » (Serres/Jarrie), « Margherita » (Cécile Gambini, va falloir que je cherche l’accent italien) et « Grand corbeau » (Fontanel/Guilloppé).
Dimanche. Un objectif : lire au moins deux fois chacun des quatre albums. Ça prend du temps parce que, je m’en rends compte, on ne lit jamais aussi bien que quand on a analysé les images et débusqué tous les clins d’œil, les allusions, les sentiments cachés… Heureusement que l’on n’a pas choisi du Emmanuelle Houdard ou, pire, du Carole Chaix. Audrey m’a justement confié, d’elle, « Une princesse au palais ». Je m’y embarque et la beauté des images, l’intelligence et la complexité de la construction me lancent immédiatement un défi : comment s’y prendre pour lire à haute voix ce livre lisible uniquement, à l’évidence, dans son quant-à-soi ? Je me casse les dents sur la question et revient à mes gammes. Je lis, je fais parfois des essais d’intonation, de rythme, je chronomètre.
Lundi. C’est bon signe : j’ai le trac. Je ne dirais pas que je panique mais je suis fébrile. En avance au rendez-vous, bien sûr. J’ai encore relu chaque livre une fois dans la matinée, deux pour le Martin Jarrie dont je doute soudain : trop… abstrait, trop intérieur ? Et puis les choses s’enchaînent. Chercher l’école à Lailly, trouver l’entrée. Les enfants sont encore dans la cour, la directrice nous accueille (est-ce la directrice ? je n’en sais rien), on démarre chez elle. Les enfants sont heureux de nous voir, on les suit en classe. Térésa est rompue aux présentations – j’ai failli oublier les affiches du Salon ! – et donc elle démarre. Je regarde les enfants, comme ils sont attentifs, silencieux. Je discerne l’étonnement, l’anxiété, les sourires au fil de l’histoire. Elle lit « L’enfant du bananier », dix bonnes minutes, le temps pour moi de retrouver un rythme cardiaque normal. Elle referme le livre. Un silence. A moi.
« Loulou, plus fort que le loup », de Grégoire Solotareff…
Roger Wallet, le 14.12.2015