Une lectrice partage deux coups de coeur, pour des albums découverts lors de la formation des 10 et 11 décembre 2020, sur les enjeux et la pratique de la lecture à voix haute, animée par Livre Passerelle et la compagnie les fous de bassan!.
C’est écrit là-haut, Claudine Desmarteau, Seuil jeunesse, 2000

L’album joue sur les couleurs primaires : rouge, jaune, bleu, en pleine page.
L’illustration y est autant texte que le texte lui-même. Un texte-illustration un peu différent, certes, parfois en pictogrammes très simples à décrypter, ou mêlant texte et dessin. Un dessin au trait noir, noir comme la vie de Jacques, « C’est le prénom que mon père et ma mère ont choisi pour moi », dont les ascendants sont peu enviables – père qui aime un peu trop la bière, grand-père qui aimait un peu trop le vin et arrière grand-père qui adorait le whisky – .
Mais sa mère a sur ces destins un regard bien indulgent et intrigant pour Jacques qui craint sans doute pour son propre avenir. Elle y répond toujours par cette remarque « C’est comme ça, c’est écrit là-haut ».
Alors si tout est écrit là-haut, marcher sur les crottes de chien, acheter des bonbons, se voir refuser l’argent pour les acheter, casser les lunettes d’Antoine étaient aussi écrit là-haut.
Mais apparemment la machine s’enraye, car si c’était écrit là-haut, pourquoi les gendarmes le giflent -ils pour des lunettes qui devaient finir cassées, pourquoi sa mère puis son père font de même. Jacques se dit que vraiment « le destin c’est nul »!
Par un dessin qui simule le dessin d’enfant Claire Desmarteau nous emmène dans un grave débat sur le destin et le déterminisme, gravité contrebalancée par l’humour des dessins.
Mais l’album se termine sur un trait optimiste : « […] c’est pas écrit que j’aimerai la bière » et en illustration une marelle où les pictogrammes de la bouteille d’alcool, de la crotte de chien et de la claque sont barrés.
Un album à lire, regarder et discuter.
Le Canard, la mort et la tulipe, Wolf Erlbruch, La Joie de lire, 2007

Le canard, cou dressé, sent derrière lui, depuis quelques temps, une présence. Il s’aperçoit que c’est la Mort dans sa robe à carreaux et ses pantoufles de vieille dame. Dans son dos elle tient une tulipe noire. Or la tulipe noire est le plus souvent symbole d’un amour passionné qui peut mener à la mort. Chacun sur une page, ils se font face.
Le canard s’en inquiète et demande si l’heure de sa fin est venue. Mais la Mort le rassure en lui disant qu’elle ne vient qu’après un accident ou une maladie. D’ailleurs elle a l’air bien inoffensive la Mort, avec sa tenue de ménagère.
Puis le canard et la Mort se partagent la même page allant d’un côté puis de l’autre tout en discutant : des anges, de l’enfer, tous sujets dont la Mort ne semble pas savoir grand chose.
Alors le canard s’habitue à cette présence et propose à la Mort un bain dans l’étang. La Mort y prend froid et le canard la réchauffe, allongé sur elle.
Leur débat se poursuit en haut d’un arbre car décidément la Mort n’aime pas l’eau.
De là-haut, tous deux observent l’étang. Sera-t-il encore là, seul, après la mort du canard ? Ou tout simplement n’existera-t-il plus puisque le canard n’y sera plus comme le suggère la mort ?
Quand le canard est pris d’un frisson c’est sa fin qui s’annonce. C’est la première fois que le canard et la Mort se font face mains dans les mains.
La Mort le dépose sur le fleuve et le regarde partir après avoir déposé sur son plumage la tulipe noire qui avait disparu pendant leurs conversations. « Lorsqu’elle le perdit de vue, la mort fut presque chagrinée. Ainsi va la vie… »
Les deux personnages, dont les expressions se limitent aux regards pour le canard et aux mouvements du corps pour la Mort , se dressent sur des fonds de page blanche. Seuls des morceaux d’arbustes en bas ou en bord de page les resituent dans la réalité du canard.
Tout l’album est en tons pastels, très doux et l’humour de Wolf Erlbruch s’exprime dans les postures du canard, bien droit, clignant des yeux ou tournant la tête quand la mort impassible s’allonge, s’assoit, se promène mains dans le dos…
La toute dernière page, sans texte, montre la Mort entourée d’un lièvre et d’un renard qui lui tournent autour en gambadant. Vient-elle les chercher ?
Un album au sujet « sérieux » mais que l’humour, par la naïveté du canard et le personnage décalé de la Mort, rend lisible par tous.
A propos de la lecture de C’est écrit là-haut
Lors d’une lecture à voix haute cet album donne envie de partager la colère de Jacques, le jeune narrateur, ou d’appuyer le comique de répétition. Cependant il est vrai qu’une retenue et une neutralité servent mieux l’album. Retenir l’interprétation, notre interprétation de lecteur est souvent difficile. Pourtant si le texte permet parfois une « théâtralisation », l’illustration elle ne le permet pas et dans un album – celui-ci en particulier- ce qui se joue entre le texte et l’illustration c’est le sens, celui que le lecteur perçoit ou celui que l’auditeur reçoit. Or les deux, parfois, ne se rencontrent pas.
Imprimer un sens à l’album en jouant le texte, en accentuant ce que le lecteur ressent comme signification, c’est le risque de fermer d’autres lectures de l’album.
A propos de la lecture de Le Canard, la mort et la tulipe
Pour cet album le problème de l’interprétation du texte est peut-être inverse.
Tout d’abord l’illustration, même si elle très puissante, se lit beaucoup plus vite. Elle est précise et sans détail. L’auditeur n’a pas à s’y attarder pour l’appréhender dans son entier. De plus elle est énigmatique.
A partir de ce moment le lecteur va avoir un rôle plus complexe dans l’interprétation des deux voix qui s’affrontent : le canard et la mort. Le premier est naïf et la seconde presque détachée et lire cet album en gardant le même registre pour les deux personnages complique la compréhension sans compter les interventions du narrateur. La neutralité du ton risque ici de perdre l’auditeur.